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Association culturelle arménienne : Réponse du président d'OTC-France, Aram GAZARIAN, à la tribune intitulée ''Nous faisons un rêve ensemble''

Réponse du président d'OTC-France, Aram GAZARIAN, à la tribune intitulée ''Nous faisons un rêve ensemble''

Réponse du président d'OTC-France, Aram GAZARIAN, à la tribune intitulée "Nous faisons un rêve ensemble".

UN « RÊVE » AU-DELÀ
J’ai lu attentivement dans la presse le texte « Faisons un rêve, ensemble ». Je n’ai pas le même
« rêve ». Devrais-je plutôt dire que mon « rêve » commence là où finit le rêve présenté. Car, si mon
« rêve » finissait avec le texte, je pense qu’il serait un mauvais rêve pour l’avenir de ma nation.
Mon rêve est celui de la de la Justice, non de la Mémoire, de la Réparation, non celui de la
Reconnaissance. Je comprends que le citoyen honnête de Turquie ait tant à faire avec la mémoire
fallacieuse dont il a été nourri, tant à faire avec les autorités et la société turque pour tordre le cou au
mensonge, qu’il soit prématuré pour lui de penser au-delà de la nécessité de la reconnaissance. Mais je
ne peux me satisfaire de ce rêve, bien qu’il soit habillé de bonté. Dans les lignes qui suivent, je
m’explique et je montre comment la réparation s’impose dans le raisonnement sur la Question
arménienne en Turquie, car c’est bien cela dont il doit être question.
En réalité, que vise-t-on dans le beau rêve de la reconnaissance ici décrit : l’apaisement du
coupable, non celui de la victime. La victime, pour être apaisée, a non seulement besoin d’être reconnue
comme telle, avec les mots justes, disant l’Histoire authentique, mais elle a également besoin, de façon
vitale, de réparation. « Panser ses plaies », ce n’est pas seulement lui permettre de « voir » les terres où
ses ancêtres ont vécu, de les offrir au regard de ses petits-enfants. C’est surtout avoir la possibilité d’y
vivre. D’avoir la liberté d’établir sur ces terres une vie et un avenir. « Les fils de la mémoire et de la vie
ont commencé à se renouer », est–il dit. Je dirai : « permettons à l’Histoire de reprendre son fil, là où il
s’est interrompu ». Inviter les Arméniens à reprendre pleinement la place qu’ils occupaient. Voilà
l’invitation attendue : le droit à la Terre.
En effet, qu’importe à l’Arménien que son bourreau lui reconnaisse un statut de victime, s'il ne
répare pas les dommages qu’il a causés. J’irai plus loin : ne pas réparer, c’est je le crains, continuer de
détruire. C'est-à-dire donner au temps davantage de prise sur l’histoire que le crime ne lui en a imposée.
En revanche, réparer, c'est-à-dire travailler à créer les équilibres auxquelles les Arméniens aspiraient
avant la catastrophe, c’est précisément nourrir l’histoire de ce dont elle n’aurait pas dû être privée.
En réalité, en termes de justice, le pardon prononcé par la victime accompagne la réparation
opérée par le coupable. Voilà deux mouvements qui seraient des dons mutuels, et sur lesquels pourraient
s’établir un avenir commun et une fraternité toujours possibles. La victime accorde son pardon là où le
coupable agit et exprime son repentir. Celui qui a agi dans la faute doit agir dans la réparation.
Dans la réparation totale du crime de masse que constitue le génocide, le peuple victime renaît
de la mort dans laquelle le coupable l’a plongée, quand ce dernier, dans l’effort consenti à la réparation,
agit à effacer le préjudice commis. Certes, la tâche est impossible, et c’est en cela que le crime est
irréparable. En effet, Il est impossible de redonner aux vies perdues le souffle dont elles ont été privées.
Mais, il est possible que les enfants des bourreaux, souhaitent donner un meilleur souffle aux enfants
nés du peuple martyr. L’Histoire commune vécue donne légitimité aux victimes et obligation aux
coupables.
Il reste alors à évaluer le préjudice pour évaluer les réparations nécessaires. Puis, dans ce qui est
nécessaire, faire ce qui est possible, tout ce qui est possible, dans un voeu mutuel de reconstruction.
Ne serait-ce pas d’ailleurs, la seule et véritable façon pour le coupable de se mettre en accord
avec le Bien universel et son Histoire, que de réparer l’acte commis à l’encontre de la victime.
En cela, il convient de voir la réparation comme doublement réparatrice, pour le bourreau
comme pour la victime.
Là est mon rêve, celui que je veux partager avec mon prochain, avec mon frère de Turquie.
Est-ce là un rêve impossible, une utopie ?
Après tout, cela ne relève peut-être pas de rêve, mais d’objectif, de travail, de partage d’audace
et de prise de risque, et donc de faits. Des faits fondés sur le parti pris que cela est possible, que cela doit
être possible, parce que cela est nécessaire, car vital. Vital pour la victime, pour les descendants des
victimes et les descendants des coupables, pour la Justice et pour l’Humanité.
9 juin 2014
Aram Gazarian, président de l’Organisation Terre et Culture-France.
Membre du Collectif 2015 : réparation.

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